KHERRATA & ADOS (suite)

 

Ados (Suite)

 

(Extrait de l’ouvrage « Souvenir…s »

 de Khaled Lemnouer)

 

Rabah était un vrai feu follet. Il était très vif, rapide, insaisissable. Il parlait avec une telle volubilité qu’on se demandait comment il arrivait à respirer. Toujours en état d’excitation, il joignait à la parole des gestes incohérents qui accentuaient sa fébrilité. Il causait en faisant un bruit de succion. De temps en temps, il émettait de petits rires brefs affectant ainsi à son discours un aspect particulier et plaisant.

On lui avait collé le sobriquet de « Aferfedj »[1]. Sa seule présence électrisait tout notre groupe. Dans les moments de vague mélancolie, il suffisait de rechercher la compagnie de Rabah pour retrouver le moral...


 

L’aplomb imperturbable de Mouloud était une force qui décontenançait les autres. Sa haute stature, sa démarche paisible et son sourire placide révélaient clairement cette force tranquille. Rien ne pouvait le troubler ; il restait froid et impassible en toutes circonstances.

 

Mouloud

 

 

Une fois, pendant les vacances d’été, Mouloud m’avait invité à passer une semaine à Oran chez son oncle, personne douce et obligeante. Ce fut un séjour inoubliable. Les promenades sur le front de mer et la pétulance de la vie estivale me donnaient l’impression de vivre dans un Eldorado. La capitale de l’ouest n’avait assurément rien à envier aux villes occidentales. Bien au contraire !

 

Plus tard, nous referons le voyage d’Oran, mais cette fois-ci avec nos épouses respectives. Pour Mouloud et moi, ce fut comme aller en pèlerinage sur ces lieux bénis des dieux...

 

Quelques années auparavant, lorsque nous commençâmes tous deux à percevoir des salaires de fonctionnaires, nous achetâmes en association une voiture d’occasion à un prix très avantageux.

 

Ah ! cette Dauphine ! Cette belle petite bagnole bleue à quatre portes, était devenue une voiture populaire par excellence. Elle n’avait pas de clef de contact, un simple bouton actionnait le démarreur. De ce fait, tout le monde pouvait l’emprunter pour transporter des personnes ou des marchandises. À la condition toutefois de remplir d’essence le réservoir. Tous chérissaient notre Dauphine. Elle connaissait toutes les adresses du patelin, et ne rechignait jamais à rendre service à quiconque, à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit. Parfois, quelqu’un venait la conduire à l’unique station d’essence du village pour le seul plaisir de lui faire le plein de carburant. Quand nous la vendîmes deux ans plus tard, une atmosphère morose s’appesantit sur toute la localité. Ce fut comme si un habitant venait de disparaître...


 

L’autre Mustapha était le bricoleur du groupe malgré son jeune âge. Il était doué d’une intelligence pratique assez vive. Rien ne lui résistait, même pas les nouveaux appareils ménagers complexes. Cependant, sa démarche nonchalante et son sourire aérien ne reflétaient nullement cette aptitude manuelle. Il le savait, et chaque fois qu’il réussissait à réparer, avec les moyens du bord, une machine ou un instrument, il nous lançait comme un cri de triomphe :

 

Mustapha

 

 

« Hé, hé, méfiez-vous de l’eau qui dort ! »

  

Très fidèle en amitié, Mustapha était de tous les coups. Combien en avions-nous faits ? Autour de quatre cents...

 

 

 

 



[1] Personne qui agit avec un empressement excessif.