Bachir BOUMAZA
Un homme, Un Algérien…
Kherrata pleure la disparition d’un grand homme en la respectueuse personne de Bachir BOUMAZA, décédé vendredi matin, 6 novembre 2009, à Lausanne (Suisse) à l’âge de 82 ans.
Natif de Kherrata, Bachir Boumaza a rejoint les rangs du PPA-MTLD de Messali El Hadj après les massacres du 8 Mai 1945. Il rallie ensuite les rangs du Front de libération nationale en 1956 avant d’être arrêté par les autorités françaises en 1958.
Il réussit à s’enfuir de la prison de Fresnes en 1961 et part se réfugier en Allemagne.
Il rentre en Algérie à l’Indépendance et entre au gouvernement en qualité de ministre du Travail et des Affaires sociales il est nommé ensuite ministre de l'Economie nationale puis ministre de l'Industrie et de l'Energie. Au lendemain du «redressement révolutionnaire » de 1965, il intègre le Conseil de la révolution en tant que ministre de l’Information. Un poste qu’il quittera une année plus tard pour partir en France et se lancer dans l’opposition au président Houari Boumediene.
Bachir Boumaâza revient au-devant de la scène politique à la faveur de la création de la Fondation du 8 Mai 1945 puis, en 1997, en qualité de premier président du Conseil de la Nation. Boumaza quittera cette institution en 2001, mettant ainsi fin à une longue carrière d’homme politique.
À Kherrata, déjà bien avant la guerre de libération nationale, Si Bachir Boumaza faisait figure de héros. Il s’était à différentes reprises distingué par un courage extraordinaire en manifestant son dévouement total à la cause de ses compatriotes. Les personnes de sa génération se rappellent encore les actes de courage accomplis par cet homme sans peur, au caractère indomptable et fier.
Si Bachir fut constamment l’objet d’une surveillance attentive de la part de l’administration coloniale avec laquelle il avait souvent maille à partir. À ce propos, une fois, il gifla un gendarme français parce que celui-ci avait manqué de respect à un algérien autochtone. Déféré illico à la justice, le juge demanda au prévenu la raison de cette transgression.
—Le gendarme m’a offensé ! répondit péremptoirement Si Bachir.
—Mais non, intervint le brigadier, je ne lui ai même pas adressé la parole !
Sans attendre la permission du juge, Si Bachir expliqua :
— Oui, mais vous ayant entendu traiter de « sale race » mon compatriote, je me suis également senti concerné et touché dans ma dignité. De quel droit vous permettez-vous de porter atteinte à notre origine ? Monsieur le Juge, quelle serait votre réaction si quelqu’un osait blesser votre honneur ?
Fort de sa connaissance des droits de l’homme et de ses notions du droit positif, Si Bachir avait la répartie facile. Son verbe juste et truculent faisait le reste. Même le greffier français, connu pour sa disposition hostile envers la population indigène, rentrait chez lui en empruntant un chemin plus long pour ne pas passer devant la maroquinerie de Si Bachir en prenant ainsi le risque d’être apostrophé par celui-ci. Dans le village, on aimait répéter sur un ton passionné que « Si Bachir a interdit à l’officier public de fouler son trottoir ! »
Ayant toujours combattu pour la liberté de sa patrie, Si Bachir fut arrêté à différentes reprises par la police administrative, ou par les services de sécurité de Bougie et de Sétif. Quand il se trouvait à Kherrata après ses mises en liberté, il aimait retrouver la compagnie de mon père qu’il appelait « Khali Ali », sa mère et Zizi étant du même lignage. Les deux hommes avaient le même caractère trempé, les mêmes atomes crochus. De ce fait, ils passaient des heures à parler de la vie politique, de l’avenir de l’Algérie...
Exilé en France pendant la Révolution, il fut l’un des principaux responsables du FLN établi en métropole. Emprisonné à la maison d’arrêt de Frênes, il s’en échappa en mettant sur pied une évasion spectaculaire dont le journal Le Monde en fit largement écho. Ammi El Hocine, un ex codétenu de Si Bachir, se souvient de cet homme hors du commun dont le courage et le sens de l’organisation avaient permis aux prisonniers Algériens de supporter sans trop de dommages leur détention.
« Dans cet impitoyable univers carcéral, il tenait tête à nos geôliers et formulait sans cesse des revendications à l’administration pénitentiaire. Par ailleurs, il écrivait un livre et nous incitait à nous instruire. Si Bachir était un homme. Un vrai. Il avait une âme chevillée au corps. Et il portait l’Algérie dans son cœur. »
Le cinq juillet 1962, à l’instar de tout le pays, la population de Kherrata en liesse fêtait l’indépendance de l’Algérie. En ce jour béni, les rues pavoisées furent envahies par les manifestants ; les gens criaient, chantaient, dansaient dans un tintamarre de klaxons, de youyous, de crépitements de mitraillettes et d’éclatements de pétards, tandis qu’un haut-parleur diffusait des chants patriotiques.
Debout sur le perron de la boutique de son père — Sidi Mansour — Si Bachir contemplait en silence cette euphorie générale. Je m’approchai de lui pour lui demander d’allumer mon pétard ; devinant mon intention, il plongea la main dans sa poche et retira une boîte d’allumettes qu’il me remit en me priant d’aller faire claquer mon explosif plus loin.
Plus tard, Si Bachir remplira plusieurs fois les fonctions de ministre dans le nouveau gouvernement algérien. Son passage dans son village natal créait toujours l’événement. C’était l’occasion pour ses concitoyens de lui rendre visite au domicile de son père. En l’occurrence, la maison familiale se transformait en une sorte d’amphithéâtre sans gradins où s’engageaient des discussions interminables autour de divers sujets. C’était pour tout le monde un moment privilégié. Possédant une vaste culture, Si Bachir diffusait ses connaissances à profusion éveillant un intérêt général croissant. Dans sa bouche, les mots valaient des livres...
Peu de temps après, il créera la Fondation du 08 mai 1945 pour dénoncer les actes génocides perpétrés par le pouvoir colonial français contre le peuple algérien durant la colonisation du pays, et pour demander justice de ces crimes imprescriptibles contre l’humanité.
Ensuite, il occupera les hautes charges de président du Sénat. À la faveur de son élection à ce perchoir, je lui adressai une lettre de félicitations ainsi rédigée :
Monsieur le Président,
C’est avec une indicible fierté, et une joie sans borne, que nous avons appris votre élection à la tête du Conseil de la Nation.
En cette heureuse occasion, ma famille et moi-même vous présentons nos vives félicitations.
Avec vous, nous sommes sûrs que l’exercice de la démocratie deviendra une réalité dans notre pays. Une réalité tant rêvée. Une réalité tant attendue.
D’ailleurs, votre investiture a suscité dans la région une satisfaction générale. Votre glorieux passé, votre intégrité, et votre envergure intellectuelle, sont régulièrement mis en exergue par la majorité, et ses qualités ont même fini par forcer le respect des autres.
J’en veux pour exemple le ton admiratif exprimé par les téléspectateurs et les lecteurs en commentant vos déclarations métaphoriques à la télévision ou dans la presse.
Comme moi, tous les citoyens de ce beau pays fondent un grand espoir sur l’assemblée que vous avez l’honneur de présider : celui de redonner à l’Algérie sa grandeur et son aura, sa fierté et sa sagesse, son histoire et sa culture.
À ce titre, je vous renouvelle mes chaleureuses félicitations et vous présente, pour 1998, mes meilleurs voeux de bonheur, de santé, et de réussite dans votre nouvelle et noble mission.
« L’Algérie est le bien de tous, œuvrons tous pour son bien »
Kherrata, 2 janvier 1998,
Khaled Lemnaouer.
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021